Temps de lecture pour enfants: 13 min
Le roi avait douze filles, plus belles les unes que les autres. Elles dormaient ensemble dans une vaste pièce, leurs lits étaient alignés côte à côte, et chaque soir, dès qu’elles étaient couchées, le roi refermait la porte et poussait le verrou. Or, le roi constatait tous les matins, après avoir ouvert la porte, que les princesses avaient des souliers usés par la danse. Personne n’était capable d’élucider le mystère.

Le roi proclama alors que celui qui trouverait où dansaient les princesses toutes les nuits, pourrait choisir une de ses filles pour épouse et deviendrait roi après sa mort. Mais le prétendant qui, au bout de trois jours et trois nuits, n’aurait rien découvert, aurait la tête coupée. Bientôt, un prince, voulant tenter sa chance, se présenta. il fut très bien accueilli, et le soir on l’accompagna dans la chambre contiguë à la chambre à coucher des filles royales. On lui prépara son lit et le prince n’avait plus qu’à surveiller les filles pour découvrir où elles allaient danser; et pour qu’elles ne puissent rien faire en cachette, la porte de la chambre à coucher resta ouverte. Mais les paupières du prince s’alourdirent tout à coup et il s’endormit. Lorsqu’il se réveilla le matin, il ne put que constater que les princesses avaient été au bal et avaient dansé toutes les douze: leurs souliers rangés sous leurs lits étaient complètement usés.

Les deuxième et troisième soirs il n’en fut pas autrement et le lendemain, le prince eut la tête coupée. Par la suite, de nombreux garçons encore avaient visité le palais, mais tous payèrent leur courage de leur vie. Puis, un jour, un soldat pauvre et blessé qui ne pouvait plus servir dans l’armée, marcha vers la ville où siégeait le roi. Sur son chemin, il rencontra une vieille femme qui lui demanda où il allait.
– Je ne sais pas bien moi-même, répondit le soldat, et il ajouta en plaisantant:J’aurais bien envie de découvrir où toutes ces princesses dansent toutes les nuits!
– Ce n’est pas si difficile, dit la vieille femme, il faudrait que tu ne boives pas le vin qu’ils vont te servir et que tu fasses semblant de dormir d’un sommeil de plomb. Puis, elle lui tendit une cape en disant:
– Si tu mets cette cape, tu deviendras invisible et tu pourras ainsi épier les douze danseuses. Fort de ces bons conseils, le soldat se mit sérieusement à envisager d’aller au palais. Il prit son courage à deux mains, se présenta devant le roi et se déclara prêt à relever le défi. Il fut accueilli avec autant de soins que ses prédécesseurs et fut même revêtu d’un habit princier. Le soir venu, tout le monde se prépara à aller se coucher et le soldat fut amené dans l’antichambre des filles royales. Avant qu’il ne se couche, la princesse aînée entra, lui apportant une coupe de vin. Or, le soldat avait auparavant attaché sous son menton un petit tuyau; il laissa le vin couler à l’intérieur et n’en avala donc pas une goutte. Il se coucha, puis il attendit un peu avant de se mettre à ronfler comme s’il dormait profondément. Dès que les princesses l’entendirent, elles se mirent à rire et l’aînée dit:
– Quel dommage de risquer sa vie ainsi! Elles se levèrent, ouvrirent les armoires, en sortirent des robes superbes et commencèrent à se faire belles devant la glace; elles sautillaient, se réjouissant par avance de la soirée qui les attendait. Mais la plus jeune s’inquiéta:
– Vous vous réjouissez, mais moi j’ai comme un pressentiment. Un malheur nous attend.
– Ne sois pas bête, dit l’aînée, balayant ses soucis, tu es toujours inquiète. As-tu déjà oublié combien de princes nous ont déjà surveillées en vain? Et le soldat à côté n’a même pas eu besoin de la potion pour s’endormir. Ce pauvre bougre ne se réveillera pas quoiqu’il arrive. Néanmoins, lorsque les douze princesses eurent fini de s’habiller, elles allèrent jeter un coup d’œil sur le soldat. Il avait les yeux fermés, respirait régulièrement et ne bougeait pas; elles en conclurent qu’il n’y avait n’en à craindre. L’aînée s’approcha de son lit et frappa. Le lit s’effaça aussitôt pour laisser place à un escalier qui s’enfonçait sous la terre et les sœurs descendirent par ce passage. L’aînée ouvrait la marche, les autres la suivaient, l’une après l’autre. Le soldat avait tout vu et n’hésita pas longtemps: il jeta la cape sur ses épaules et se mit à descendre derrière la benjamine. Au milieu de l’escalier, il marcha un peu sur sa jupe; la princesse eut peur et s’écria:
– Qu’est-ce que c’est? Qui est-ce qui tient ma robe?
– Que tu es bête! la fit taire l’aînée, tu as dû juste t’accrocher à un clou. Elles descendirent tout en bas pour se retrouver dans une allée merveilleuse. Les feuilles des arbres y étaient en argent, elles brillaient et scintillaient.
– Il faut que je garde une preuve, décida le soldat. Il cassa une petite branche, mais l’arbre craqua très fort.
– Il se passe quelque chose s’écria, anxieuse, la plus jeune princesse. Avez-vous entendu ce bruit? Mais l’aînée la calma:
– Ce sont des coups de canon. Nos princes se réjouissent que nous allions bientôt les délivrer. Elles avancèrent dans une autre allée où les feuilles étaient en or, et finalement elles entrèrent dans une allée où sur les arbres de vrais diamants étincelaient. Le soldat arracha une petite branche dans l’allée d’or et dans celle aux diamants et à chaque fois un craquement retentit. La plus jeune des princesses avait peur et sursautait à chaque fois; mais l’aînée persistait à dire qu’il s’agissait bien des coups de canon en leur honneur. Elles continuèrent leur chemin lorsqu’elles arrivèrent à un lac; près de la rive voguaient douze barques et dans chacune d’elles se tenait un très beau prince. Les douze princes attendaient leurs douze princesses. Chacun en prit une dans sa barque. Le soldat s’assit près de la plus jeune.
– Je ne comprends pas, s’étonna le prince, la barque me semble aujourd’hui plus lourde que d’habitude. je dois ramer de toutes mes forces pour avancer.
– Ça doit être la chaleur ou l’orage, estima la petite princesse, je me sens moi aussi toute moite. Sur l’autre rive brillait un palais magnifique, tout illuminé, et une musique très gaie s’en échappait.

Le roulement des tambours et le son des trompettes résonnaient à la surface de l’eau. Les princes et les princesses accostèrent et entrèrent dans le palais, puis chaque prince invita la princesse de son choix à danser. Le soldat, toujours invisible, dansa avec eux, et chaque fois qu’une princesse prenait une coupe dans la main, il buvait le vin qu’elle contenait avant que la princesse ne pût approcher la coupe de ses lèvres. La plus jeune princesse en était toute retournée mais l’aînée était toujours là pour la rassurer. Ils dansèrent toute la nuit, jusqu’à trois heures du matin; à ce moment les semelles des souliers des princesses étaient déjà usées et elles durent s’arrêter. Les princes les ramenèrent sur l’autre rive, le soldat s’étant cette fois-ci assis à côté de l’aînée. Les princesses firent leurs adieux aux princes et promirent de revenir. Le soldat les devança en montant les marches, sauta dans son lit et lorsque les douze princesses fatiguées arrivèrent en haut à petits pas, dans la chambre un ronflement très fort résonnait déjà. Les princesses l’ayant entendu, se dirent:
– Avec celui-là, il n’y a rien à craindre.

Et elles se déshabillèrent, rangèrent leurs belles robes dans les armoires, leurs souliers usés sous les lits et elles se couchèrent. Le lendemain matin, le soldat décida de ne rien dire. Il avait envie d’aller au moins une fois encore avec elles pour être témoin de leurs étonnantes réjouissances. Il suivit donc les princesses la deuxième et la troisième nuit et tout se passa exactement comme la première fois; les princesses dansèrent jusqu’à ce que leurs souliers soient usés jusqu’à la corde. La troisième nuit, le soldat emporta une coupe comme preuve. Vint l’instant où le soldat dut donner la réponse au roi. Il mit dans sa poche les trois petites branches ainsi que la coupe, et il se présenta devant le trône. Les douze princesses se tenaient derrière la porte pour écouter ce qu’il allait dire. Le roi demanda d’emblée:
– Où mes douze filles dansent-elles pour user tant leurs souliers?
– Dans un palais qui est sous terre, répondit le soldat. Elles y dansent avec douze princes. Et il se mit à raconter comment tout cela se passait; et il montra les preuves. Le roi appela ses filles et leur demanda si le soldat avait dit la vérité. Les princesses, voyant que leur secret était découvert et qu’il ne servait à rien de nier, durent, bon gré mal gré, reconnaître les faits. Lorsqu’elles avouèrent, le roi demanda au soldat laquelle des douze princesses il souhaitait épouser.
– Je ne suis plus un jeune homme, dit le soldat, donnez-moi votre fille aînée. Les noces eurent lieu le jour même et le roi promit au soldat qu’après sa mort il deviendrait roi. Et les princes sous la terre furent à nouveau ensorcelés jusqu’à ce que se soient écoulées autant de nuits qu’ils en avaient passé à danser avec les princesses.

Contexte
Interprétations
Langue
Le conte „Les souliers usés au bal“ des Frères Grimm raconte une histoire intrigante et pleine de mystère autour de douze princesses qui, malgré le verrouillage de leur chambre chaque soir, se retrouvent chaque matin avec leurs souliers complètement usés. Le roi, leur père, ne pouvant comprendre ce phénomène, lance un défi à quiconque découvrira où ses filles vont danser la nuit: il promet sa main à l’une de ses filles et le trône à sa mort, mais condamne ceux qui échoueront à la peine de mort.
De nombreux princes tentent leur chance, mais tous échouent, jusqu’à ce qu’un soldat pauvre et blessé se présente au palais. Avec l’aide d’une vieille femme et grâce à une cape qui le rend invisible, il découvre le passage secret sous le lit des princesses. Chaque nuit, il les suit alors qu’elles descendent dans un royaume souterrain où elles dansent avec douze princes dans un palais enchanté. Le soldat, intelligent et prudent, recueille des preuves de ses découvertes, dont des branches en or et en diamant, et une coupe du palais.
Lorsqu’il révèle le secret au roi avec ces preuves, les princesses n’ont d’autre choix que d’avouer. En reconnaissance de sa réussite, le soldat choisit d’épouser la princesse aînée et devient l’héritier du royaume. Le conte se termine sur cette justice équitable, où le soldat n’est pas seulement récompensé pour sa bravoure et son intelligence, mais où les princes sous la terre sont également libérés de leur enchantement après avoir purgé leur peine. Ce récit, typique des contes de Grimm, aborde des thèmes de courage, d’ingéniosité, et de triomphe du bien sur le mal.
„Les Souliers Usés au Bal“ est un conte classique des Frères Grimm qui repose sur des thèmes récurrents dans les contes de fées: le mystère, la curiosité, l’ingéniosité et la récompense. Voici quelques éléments d’interprétation et d’analyse pour mieux comprendre cette histoire :
Le mystère des souliers usés intrigue le roi, mais aussi suscite la curiosité de nombreux prétendants. Cela met en lumière la nature humaine de vouloir résoudre des énigmes et découvrir l’inconnu. La curiosité est à la fois un moteur d’aventure et un élément dangereux, puisque de nombreux princes ont perdu la vie dans leur quête.
Ingéniosité et Stratagème: Le soldat utilise la ruse et la magie pour réussir là où d’autres ont échoué. En choisissant de suivre les conseils de la vieille femme et d’utiliser la cape d’invisibilité, il montre que l’intelligence et la stratégie peuvent triompher là où la force ou la simple volonté échouent. Cela rappelle que les contes de fées valorisent souvent l’astuce et la sagesse.
Une Épreuve de Courage et de Patience: L’épreuve que doivent passer les prétendants n’est pas seulement une question de perspicacité, mais aussi de patience et de courage. Le soldat montre sa détermination non seulement en découvrant le secret, mais aussi en assistant aux réjouissances nocturnes pendant plusieurs nuits avant de révéler la vérité.
Punition et Récompense: Le conte se termine par une récompense pour le soldat, qui mérite de devenir prince et, plus tard, roi. Cette idée de récompense est omniprésente dans les contes de fées, où les protagonistes qui réussissent leurs quêtes sont souvent généreusement gratifiés. De plus, les princes sous la terre sont à nouveau ensorcelés, ce qui peut être interprété comme une punition pour leurs actions ou comme une restauration de l’ordre.
Symbolisme des Souliers: Les souliers usés symbolisent la dévotion des princesses au monde souterrain, mais aussi une fuite du monde réel. Dans de nombreux contes, les chaussures sont également des marqueurs de changement de statut social (voir Cendrillon), et ici, elles pourraient symboliser le lien entre deux mondes.
Thème de l’Enchanteur: Les princesses sont liées à un monde merveilleux par magie. Les princes enchantés et les bals nocturnes ajoutent une dimension surnaturelle, qui sert à attirer et perdre ceux qui ne sont pas avisés ou protégés.
L’histoire de „Les Souliers Usés au Bal“ perpétue l’héritage des récits fantastiques qui allient le réel et l’extraordinaire, tout en servant de métaphore des choix et des valeurs morales dans la vie.
Le conte „Les souliers usés au bal“ des Frères Grimm est un récit empreint de mystère et de magie, typique du genre des contes de fées. L’analyse linguistique de ce conte met en lumière plusieurs éléments stylistiques et narratifs qui renforcent l’intrigue et les thèmes centraux.
Narrateur Omniscient: Le conte est raconté par un narrateur omniscient qui sait tout des personnages et de leurs pensées. Cela permet une compréhension complète des événements et des motivations des personnages.
Dialogue: Les dialogues entre les personnages, notamment entre les princesses et le soldat, sont utilisés pour développer le mystère et l’intrigue. Les échanges sont souvent brefs mais chargés de sous-entendus et de suspense.
Caractéristiques Linguistiques
Langue Simple et Directe: Le conte utilise un langage simple et direct, accessible à tous les âges. Cela est typique des contes de fées, qui visent un large public.
Répétition: La répétition est utilisée pour mettre en avant certaines actions ou idées, par exemple les trois nuits durant lesquelles le soldat suit les princesses et note leurs activités nocturnes.
Formules Traditionnelles: L’utilisation de formules récurrentes telles que « Il était une fois » ou « Et ils vécurent heureux » ancre le récit dans la tradition des contes de fées.
Thèmes et Symbolisme
Mystère et Curiosité: Le mystère des souliers usés et le défi lancé par le roi suscitent la curiosité du lecteur et structurent l’intrigue principale.
Transgression et Découverte: Le soldat, en brisant le secret des princesses, incarne la quête de la vérité et la transgression de l’interdit, thèmes récurrents dans les contes.
Symbolisme des Objets: Les souliers usés symbolisent la double vie des princesses. La cape d’invisibilité et les branches d’arbres en argent, or et diamant sont des objets magiques qui aident à la résolution de l’intrigue.
Structure et Rythme
Structure en Trois Actes:
Le conte suit une structure classique en trois étapes: l’exposition du problème (les souliers usés), le développement (les tentatives infructueuses puis la réussite du soldat), et la résolution (la révélation du mystère et le mariage).
Rythme: Le rythme est modéré, avec une montée progressive de la tension jusqu’à la révélation finale.
En somme, le conte „Les souliers usés au bal“ de Grimm utilise des caractéristiques linguistiques et stylistiques propres aux récits de contes pour captiver le lecteur, combiner mystère et magie, tout en explorant des thèmes de découverte et de révélation.
Information pour l'analyse scientifique
Indicateur | Valeur |
---|---|
Numéro | KHM 133 |
Aarne-Thompson-Uther Indice | ATU Typ 306 |
Traductions | DE, EN, EL, DA, ES, FR, PT, HU, IT, JA, NL, PL, RU, TR, VI, ZH |
Indice de lisibilité selon Björnsson | 37.1 |
Flesch-Reading-Ease Indice | 59.1 |
Flesch–Kincaid Grade-Level | 9 |
Gunning Fog Indice | 11.7 |
Coleman–Liau Indice | 11.4 |
SMOG Indice | 11.6 |
Index de lisibilité automatisé | 8.4 |
Nombre de Caractères | 9.022 |
Nombre de Lettres | 7.138 |
Nombre de Phrases | 96 |
Nombre de Mots | 1.543 |
Nombre moyen de mots par phrase | 16,07 |
Mots de plus de 6 lettres | 325 |
Pourcentage de mots longs | 21.1% |
Nombre de syllabes | 2.397 |
Nombre moyen de syllabes par mot | 1,55 |
Mots avec trois syllabes | 204 |
Pourcentage de mots avec trois syllabes | 13.2% |